La CGT, FO et 1 776 salariés poursuivent le groupe de menuiserie pour avoir élaboré un montage juridique complexe destiné à éluder le paiement de la prime de participation aux bénéfices. Un manque à gagner pour les salariés estimé à 81 millions d’euros.
Cela fait près de cinq ans que 1 776 salariés et anciens salariés de Lapeyre attendent d’obtenir leur dû devant la justice. De 2002 à 2008, ces employés des magasins et des usines de fabrication du groupe de menuiserie et d’ameublement se sont vu spolier de leur prime de participation aux bénéfices par le biais d’un montage financier complexe faisant remonter la quasi-totalité des bénéfices à des holdings ne comptant aucun salarié.
La manœuvre, découverte grâce à une expertise économique réalisée par le cabinet Altinea en 2009, avait donné lieu en 2012 à une assignation devant la justice initiée par la CGT, FO et 1 776 salariés plaignants. Mais, de renvoi en renvoi, l’affaire a traîné, et ce n’est qu’hier que l’audience au tribunal de grande instance de Nanterre a enfin pu se tenir.
Saucissonné en vingt et une entités, dont douze sites de production et deux sociétés de distribution regroupant les magasins Lapeyre d’une part et les enseignes K par K d’autre part, le groupe Lapeyre avait mis en place un accord de participation par société comptant plus de 50 salariés, conformément à la loi.
Le système était le suivant : la holding Lapeyre SA, ne comptant aucun salarié, achetait les produits aux différentes usines en dessous du prix du marché, puis elle les revendait via les magasins, qui ne percevaient pas le produit de la vente, capté par la holding, qui ne reversait qu’une commission aux magasins. La même manœuvre était appliquée entre la holding K par K et les magasins Distri K.
Au total, les deux holdings Lapeyre SA et K par K engrangeaient 93,6 % des bénéfices pour zéro salarié, alors que les sociétés regroupant 98 % de l’effectif se voyaient affecter seulement 4,3 % des bénéfices, servant de base au calcul de la participation. La totalité des bénéfices captés par Lapeyre SA et K par K SA remontait ensuite à la maison mère, Saint- Gobain.
Une juteuse opération pour la multinationale, qui a par exemple pu verser en 2003 un dividende exceptionnel de 295 millions d’euros prélevés sur les réserves de Lapeyre SA qui s’ajoutait aux 88 millions d’euros prélevés sur les résultats 2002, expliquent les avocats des plaignants, Mes Aline Chanu et Jonathan Cadot.
Alors qu’entre 2002 et 2008 la société Lapeyre SA a engrangé 469 millions d’euros de résultat net, la société Distrilap, qui gère les magasins, n’a versé de prime de participation qu’une seule fois, en 2002, pour un montant moyen de 7 euros par salarié. De 2002 à 2008, le cabinet d’expertise Altinea a ainsi estimé le manque à gagner pour l’ensemble des salariés du groupe Lapeyre à 81,4 millions d’euros.
Pointant la « confusion d’intérêts » et l’« absence d’autonomie » des sociétés détenues à 100 % par le groupe Lapeyre, Mes Chanu et Cadot ont démontré que, en dépit du découpage artificiel élaboré par le groupe faisant état d’entités distinctes, ces sociétés relevaient en réalité d’une même « entreprise » en tant qu’ « organisation économique cohérente ».
Ainsi, le calcul de la participation aurait dû prendre pour base l’ensemble des bénéfices réalisés par les filiales où ceux-ci ont été réalisés. En 2011, un nouvel accord de participation a été conclu. « Mais, depuis, la concurrence a rogné sur nos parts de marché, et les magasins et les usines sont régulièrement en déficit », explique Jérôme Garrec, représentant syndical FO au comité central d’entreprise (CCE), qui estime entre 40 et 50 euros le montant de la prime de participation touchée cette année dans le réseau de distribution.
« Dans le même temps ce sont des plans sociaux, avec à la clé plus de 200 licenciements, le gel des salaires et une politique d’investissement quasi nulle avec des prévisions alarmistes sur l’avenir à court terme », ont dénoncé FO et la CGT dans un communiqué commun.
Au-delà des licenciements, les syndicats estiment que les suppressions de postes par non-remplacement des départs ou par des cessions de magasins à des mandataires indépendants permettent à Lapeyre de se débarrasser d’une partie de ses salariés sans avoir à supporter la charge d’un plan social.
Joint par téléphone, Lapeyre n’a pas donné suite à nos sollicitations. Le délibéré est attendu le 26 septembre.
l’humanité du 7 Juin 2017