Le géant français des matériaux a enchaîné quatre méga acquisitions en trois ans pour se muscler dans ce secteur stratégique de la construction bas carbone. Une offensive éclair dans laquelle il a déboursé 5 milliards d’euros. De quoi accélérer la bataille des matériaux du futur.
Saint-Gobain bétonne ses positions dans la chimie de la construction. En trois ans à peine, le géant français des matériaux (47,9 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2023) a déboursé près de 5 milliards d’euros dans des acquisitions d’envergure pour se muscler dans ce secteur clé de la décarbonation du bâtiment. Il a encore annoncé, le 15 août dernier, un accord définitif pour mettre la main sur le groupe mexicain Ovniver, un leader des colles à carrelage, enduits de façade et solutions d’étanchéité en Amérique centrale, pour 740 millions d’euros. Une affaire bouclée en moins de trois mois qui signe sa quatrième grosse opération de croissance externe dans ce marché depuis 2021.
Colles, résines, adhésifs, mortiers, adjuvants et additifs pour béton et ciment… La chimie de la construction consiste à concevoir des produits à base de formulations complexes qui améliorent les performances techniques des matériaux (résistance, isolation, étanchéité, légèreté, etc.), tout en les rendant plus écologiques. « Par exemple, les adjuvants modifient les caractéristiques du béton. Ils permettent d’utiliser des ciments moins polluants, et ainsi de réduire drastiquement l’empreinte carbone du premier matériau de construction utilisé dans le monde », explique Thierry Bernard, directeur général Chimie de la construction de Saint-Gobain. Celui-ci dirigeait Chryso lorsque cette pépite française de la chimie du béton a été racheté par le groupe, il y a trois ans, pour 1.02 milliard d'euros.
Ce fut la première grande offensive de Saint-Gobain dans la chimie de la construction. Dans la foulée, il a avalé l'américain GCP Applied Technologies (2 milliards d'euros) en 2022, et enfin le britannique Fosroc (1 milliard), le 27 juin dernier. Sans compter les rachats menés en parallèle d’une trentaine d’autres petites cibles… Pas étonnant que Benoît Bazin, le PDG du groupe, se soit récemment réjoui devant la presse d’avoir réalisé un « grand chelem ». A l’arrivée, lorsque les acquisitions de Fosroc et Ovniver seront finalisées d’ici à début 2025, cette branche pèsera 6,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires, soit deux fois plus qu’il y a trois ans.
Cette percée fulgurante coche toutes les cases du plan stratégique « Grow and Impact » que Benoît Bazin a lancé en prenant les manettes de Saint-Gobain à l'été 2021. L’objectif ? Doper sa croissance et sa rentabilité grâce à un recentrage des activités sur les marchés prometteurs de la construction durable. Saint-Gobain n’a de cesse, depuis, de faire le grand ménage de son portefeuille de produits, à coups de cessions d’activités moins en phase avec cette stratégie et d’acquisitions de cibles plus porteuses, et d’avancer ses pions dans lez zones géographiques les plus dynamiques (Amérique du Nord, Asie et pays émergents).
Et c’est peu de dire que la chimie de la construction a du potentiel : le marché est aujourd’hui estimé à 100 milliards d’euros à l’échelle mondiale. Ses métiers couvrent tous les étages d’un bâtiment, des fondations à la toiture, en passant par les sols et façades, mais s’appliquent aussi aux travaux plus techniques d’infrastructures, comme les ponts. « Ce secteur affiche une croissance supérieure aux sous-jacents de la construction avec l’accélération de la transition écologique dans les pays matures, comme dans les pays émergents où les forts besoins d’urbanisation favorisent des modes constructifs plus efficients que les méthodes traditionnelles », souligne Thierry Bernard.
Martingale du BTP
Responsable de 37 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, selon l'ONU, le bâtiment n’a, de toute façon, pas vraiment le choix que de verdir ses chantiers. « Outre les réglementations bas carbone mises en place par les Etats, les acteurs de la construction sont aussi sous la pression d’investisseurs de plus en plus regardants sur la part de leurs activités compatibles avec les enjeux environnementaux, relève Sandra Bertholom, associée spécialiste du secteur chez Kea. On ne peut plus produire le bâtiment aujourd’hui comme on le faisait hier. » Et face à la crise de la construction neuve en Europe, la décarbonation est un peu la martingale pour le secteur en quête de relais de croissance.
Toute la chaîne du BTP cherche la formule magique pour alléger son bilan carbone. A l’instar de Bouygues Construction qui, sur ses chantiers, utilise du béton bas carbone, de l’acier recyclé ou des matériaux biosourcés (bois, paille, terre crue…). « Pour chaque projet, il faut analyser le coût et l’impact climatique de chaque solution par rapport à ses alternatives, estime Edward Woods, directeur R&D et Innovation du groupe. Cela bouge beaucoup du côté des matériaux. Chaque matin, il y a une nouvelle solution ! » Selon Karim Hatem, associé du groupe Kea, « les fabricants de matériaux, groupes d’ingénierie ou constructeurs s’observent tous, car ils savent que seuls certains vont remporter la mise sur le marché des nouvelles solutions bas carbone ».
Consolidation à marche forcée
Grâce à ses assauts dans la chimie, Saint-Gobain occupe le terrain dès l’amont de la chaîne de valeur. Il talonne désormais le numéro un mondial du secteur, le suisse Sika qui pèse pour 11,3 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Une belle revanche pour le fleuron tricolore qui n’a pas oublié sa tentative ratée de rachat de son concurrent helvète en 2014. Mais la bataille est loin d’être gagnée. Sika multiplie, lui aussi, les rachats pour grandir et tenir son rang. Comme l’an dernier, celui de MBCC Group (5,8 milliards d’euros), la plus grosse opération de son histoire.
Cette consolidation à marche forcée a fini par attirer l’œil des autorités de la concurrence. Des enquêtes sur de possibles ententes sur les prix et abus de position dominante dans la chimie du béton ont été ouvertes en Europe, au Royaume-Uni et en Turquie fin 2023, visant plusieurs entreprises, dont Saint-Gobain et Sika. De là à calmer la boulimie des géants de la construction ? Rien n’est moins sûr. « Le secteur est encore très éclaté. Ensemble, les dix premiers acteurs ne pèsent pas plus de 30 % du marché mondial », selon Thierry Bernard. En clair, il reste des places à conquérir dans les matériaux du futur.
Challenge
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