Née aux États-Unis dès le début des années 1980, la création de valeur pour l’actionnaire, ou shareholder value, a été initialement développée dans les départements « fusions et acquisitions » des banques d’affaires anglo-saxonnes.
Un article de Jean-François Jousselin paru dans le supplément de la NVO
Un article de Jean-François Jousselin paru dans le supplément de la NVO
L’étalon de toute performance
Elle visait d’abord à déterminer le gain pour l’actionnaire d’une opération de fusion entre deux entreprises. Avec la dérégulation financière et la montée en puissance des nouveaux intermédiaires que sont les fonds de pension et les fonds d’investissement mutuels, elle est peu à peu devenue l’étalon des performances financières de l’entreprise, puis de toute performance. Selon ses promoteurs, en effet, le pilotage par la valeur pour l’actionnaire ne doit pas seulement être un des objectifs de l’entreprise mais l’axe central de sa politique. Ce n’est pas non plus un instrument de mesure a posteriori des performances mais l’outil de pilotage stratégique quasi unique. Bouleversant l’organisation et le fonctionnement traditionnel des entreprises.
L’explosion des dividendes
Le management financier est à l’origine de l’envolée totalement inédite des dividendes. De 6,9 milliards d’euros en 1978, ils sont passés, pour les sociétés non financières, à 247,6 milliards en 2008, année du déclenchement de la crise. En trente ans, leur montant a donc été multiplié par 36 quand la masse salariale ne l’était que par 4,5. Un rythme de croissance huit fois moins rapide. Mieux, ou pire, ils n’ont guère eu à souffrir de la crise puisque nombre de grandes entreprises distribuent toujours des sommes mirobolantes, quels que soient leurs résultats. Ainsi, par exemple, ArcelorMittal, après avoir fermé Florange, a-t-il versé 910 millions de divi-dendes à ses actionnaires en 2012 malgré une perte de 2,8 milliards d’euros. Quant à Orange, il a versé, l’an passé, en dividendes 3,6 milliards d’euros, plus de trois fois le montant de ses bénéfices. En dix ans, c’est 27 milliards d’euros que le principal opérateur de téléphonie a versés à ses actionnaires. Soit plus que sa capitalisation boursière actuelle.
Une nouvelle gouvernance
Soigner l’actionnaire et le cours de Bourse, quelle que soit l’activité ou la conjoncture, a été codifié dans l’expression corporate governance – gouvernance d’entreprise. Son principe implicite est, avant chaque décision, de répondre à une seule et même question : va-t-elle créer de la richesse pour l’actionnaire ? C’est devenu l’obsession des dirigeants d’entreprise. Lesquels d’ailleurs, pour plus de sécurité, ont vu leurs rémunérations indexées sur les performances financières, et non plus productives, de l’entreprise. Avec l’avènement du capitalisme financier, le dirigeant s’aligne donc sur les seuls intérêts des actionnaires, ce qui provoque en retour une dérive des rémunérations, dont le niveau et les formes – stock-options, actions gratuites – se sont éloignés de celle d’un « directeur » pour retrouver celles d’un « mandataire », révocable, payé par ses mandants en fonction du bénéfice réalisé.
Un retour sur capitaux à deux chiffres
Sommée de tout faire pour servir une rémunération élevée à ses actionnaires, l’entreprise se trouve confrontée à la norme énoncée par le marché : servir chaque année un retour sur capitaux propres à deux chiffres. Une norme qui ne tombe pas complètement du ciel. Elle a été initiée par les fonds de pension qui ont fait leurs petits calculs. Résultat, pour servir des retraites correctes à leurs mandants, il leur faut dégager 15 % de retour sur investissement. C’est cette performance qui, de proche en proche, va devenir la norme. Elle exerce sur les entreprises une pression considérable. S’y soustraire, c’est en effet prendre le risque de voir les fonds de pension et autres fonds d’investissement se désengager, la demande pour le titre de l’entreprise baisser, la valeur boursière faire de même et exposer l’entreprise au rachat par un concurrent. Problème, la norme peut se révéler inatteignable. Elle est en tout cas insoutenable et incompatible avec le développement à long terme des entreprises…
Au détriment du travail et de l’investissement
… Cette contradiction est à l’origine de l’effet le plus considérable de la norme de rendement. Elle exige en effet des entreprises et de leurs dirigeants qu’ils se concentrent uniquement sur les activités les plus rentables. Ainsi, les activités existantes ne générant que 6 %, 7 % ou 8 % annuels de retours sur capitaux sont susceptibles d’être abandonnées ou bradées si elles « handicapent » la rentabilité globale de l’entreprise. Mais pire, les projets nouveaux seront systématiquement passés au tamis de la norme pour opérer une sélection draconienne. Seule la frange des projets d’investissement les plus rentables seront mis en œuvre, les autres, même s’ils sont rentables et à terme profitables pour l’économie, ne verront tout simplement pas le jour. On est très loin du schéma capitaliste classique où un individu ayant une idée peut faire appel à des actionnaires pour monter un projet. Quant au travail, il n’est plus considéré que comme un coût et une variable financière comme une autre : on licencie aussi désormais pour soutenir le cours de Bourse.
Elle visait d’abord à déterminer le gain pour l’actionnaire d’une opération de fusion entre deux entreprises. Avec la dérégulation financière et la montée en puissance des nouveaux intermédiaires que sont les fonds de pension et les fonds d’investissement mutuels, elle est peu à peu devenue l’étalon des performances financières de l’entreprise, puis de toute performance. Selon ses promoteurs, en effet, le pilotage par la valeur pour l’actionnaire ne doit pas seulement être un des objectifs de l’entreprise mais l’axe central de sa politique. Ce n’est pas non plus un instrument de mesure a posteriori des performances mais l’outil de pilotage stratégique quasi unique. Bouleversant l’organisation et le fonctionnement traditionnel des entreprises.
L’explosion des dividendes
Le management financier est à l’origine de l’envolée totalement inédite des dividendes. De 6,9 milliards d’euros en 1978, ils sont passés, pour les sociétés non financières, à 247,6 milliards en 2008, année du déclenchement de la crise. En trente ans, leur montant a donc été multiplié par 36 quand la masse salariale ne l’était que par 4,5. Un rythme de croissance huit fois moins rapide. Mieux, ou pire, ils n’ont guère eu à souffrir de la crise puisque nombre de grandes entreprises distribuent toujours des sommes mirobolantes, quels que soient leurs résultats. Ainsi, par exemple, ArcelorMittal, après avoir fermé Florange, a-t-il versé 910 millions de divi-dendes à ses actionnaires en 2012 malgré une perte de 2,8 milliards d’euros. Quant à Orange, il a versé, l’an passé, en dividendes 3,6 milliards d’euros, plus de trois fois le montant de ses bénéfices. En dix ans, c’est 27 milliards d’euros que le principal opérateur de téléphonie a versés à ses actionnaires. Soit plus que sa capitalisation boursière actuelle.
Une nouvelle gouvernance
Soigner l’actionnaire et le cours de Bourse, quelle que soit l’activité ou la conjoncture, a été codifié dans l’expression corporate governance – gouvernance d’entreprise. Son principe implicite est, avant chaque décision, de répondre à une seule et même question : va-t-elle créer de la richesse pour l’actionnaire ? C’est devenu l’obsession des dirigeants d’entreprise. Lesquels d’ailleurs, pour plus de sécurité, ont vu leurs rémunérations indexées sur les performances financières, et non plus productives, de l’entreprise. Avec l’avènement du capitalisme financier, le dirigeant s’aligne donc sur les seuls intérêts des actionnaires, ce qui provoque en retour une dérive des rémunérations, dont le niveau et les formes – stock-options, actions gratuites – se sont éloignés de celle d’un « directeur » pour retrouver celles d’un « mandataire », révocable, payé par ses mandants en fonction du bénéfice réalisé.
Un retour sur capitaux à deux chiffres
Sommée de tout faire pour servir une rémunération élevée à ses actionnaires, l’entreprise se trouve confrontée à la norme énoncée par le marché : servir chaque année un retour sur capitaux propres à deux chiffres. Une norme qui ne tombe pas complètement du ciel. Elle a été initiée par les fonds de pension qui ont fait leurs petits calculs. Résultat, pour servir des retraites correctes à leurs mandants, il leur faut dégager 15 % de retour sur investissement. C’est cette performance qui, de proche en proche, va devenir la norme. Elle exerce sur les entreprises une pression considérable. S’y soustraire, c’est en effet prendre le risque de voir les fonds de pension et autres fonds d’investissement se désengager, la demande pour le titre de l’entreprise baisser, la valeur boursière faire de même et exposer l’entreprise au rachat par un concurrent. Problème, la norme peut se révéler inatteignable. Elle est en tout cas insoutenable et incompatible avec le développement à long terme des entreprises…
Au détriment du travail et de l’investissement
… Cette contradiction est à l’origine de l’effet le plus considérable de la norme de rendement. Elle exige en effet des entreprises et de leurs dirigeants qu’ils se concentrent uniquement sur les activités les plus rentables. Ainsi, les activités existantes ne générant que 6 %, 7 % ou 8 % annuels de retours sur capitaux sont susceptibles d’être abandonnées ou bradées si elles « handicapent » la rentabilité globale de l’entreprise. Mais pire, les projets nouveaux seront systématiquement passés au tamis de la norme pour opérer une sélection draconienne. Seule la frange des projets d’investissement les plus rentables seront mis en œuvre, les autres, même s’ils sont rentables et à terme profitables pour l’économie, ne verront tout simplement pas le jour. On est très loin du schéma capitaliste classique où un individu ayant une idée peut faire appel à des actionnaires pour monter un projet. Quant au travail, il n’est plus considéré que comme un coût et une variable financière comme une autre : on licencie aussi désormais pour soutenir le cours de Bourse.
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