C'était le syndicaliste responsable et constructif...Celui que tout le monde écoutait, le gentil de l'intersyndicale, celui que même les médias des milliardaires respectaient.
Alors qu’un conflit social d’une puissance inédite depuis 1968 a démarré à partir du mois de janvier 2023, c’est Laurent Berger de la CFDT qui a imposé son agenda au mouvement sur les retraites. C’est-à-dire : une manifestation toutes les deux semaines, bien cadrée, bien inoffensive. 13 journées de grève au total, diluées sur 4 mois, plutôt qu’un vrai rapport de force plus court mais sans interruption, donc beaucoup plus puissant. Les autres centrales syndicales ont suivi Berger, au nom de «l’unité» comme impératif indépassable. Comme si se passer de la CFDT était impensable, comme si l’intersyndicale était condamnée au moins-disant.
Une fois la loi imposée par la violence et le 49-3, la stratégie de la défaite de Laurent Berger était arrivée à son terme, il était temps de quitter le navire. Après un 1er mai historique, avec plus de 2 millions de manifestant-es et une révolte généralisée, Laurent Berger annonçait que la CFDT «irait discuter» avec Borne. Alors même qu’il n’y avait rien à négocier et que le gouvernement venait d’humilier toutes les organisations syndicales.
Berger déclarait aussi : «Je ne remettrai pas en cause la légitimité du Conseil constitutionnel» à propos du 49-3. Rappelons que le Conseil Constitutionnel est composé de proches de Macron, et qu’il avait donc validé sans surprise le recul des retraites. La CFDT organisait ainsi l’enterrement du mouvement. L’éternel traître Daniel Cohn Bendit rêvait même de Berger comme futur candidat «social-démocrate» pour 2027 après cette brillante démonstration d’impuissance.
Finalement, l’ancien boss de la CFDT préfère se reconvertir «dans le privé». Il rejoindra dans quelques jours une banque, le Crédit Mutuel. La presse dit que le syndicaliste est proche du président de cette entreprise, Nicolas Théry, lui-même passé par la CFDT et ancien fan de DSK. Laurent Berger va ainsi prendre la tête d’une nouvelle structure baptisée «Institut Crédit Mutuel Alliance Fédérale», chargé de la «protection des écosystèmes et la lutte contre le réchauffement climatique». Du greenwashing chez les banquiers. Et dire que dans les années 1960 la CFDT était autogestionnaire, anticapitaliste et férocement écologiste ! Le 1er mai 1979, la CFDT Longwy attaquait le commissariat de sa ville à coup de pavés et de cocktails molotov. C’est vous dire si ça a changé à la CFDT.
Le précédent dirigeant de la CFDT, François Chérèque, avait été recasé comme «inspecteur général des affaires sociales» et à «l’agence du service civique» par le gouvernement, des postes bien payés après une carrière syndicale impeccable, faite de trahisons constantes. La précédente cheffe de la CFDT, Nicole Notat, est carrément partie faire du lobbying patronal, vendre des conseils aux entreprises et militer pour Macron ! Le président aurait même envisagé de la nommer ministre.
Dans un autre syndicat, Force Ouvrière, le dirigeant Jean-Claude Mailly avait été poussé vers la sortie en 2018 après la révélation de son salaire mirobolant, 8.361 euros bruts par mois, et de ses notes de frais, 34.000 euros en 2017, ainsi que le train de vie luxueux de l’équipe dirigeante du syndicat. Mailly est un copain de Bernard Cazeneuve et il est désormais consultant auprès d’entreprises, notamment en matière de «restructurations», c’est-à-dire licenciements de masse. Quoi de mieux qu’un ancien dirigeant syndical pour conseiller les patrons ?
S’il n’y a rien à attendre de ces dirigeants, l’échec des luttes n’est pas uniquement de leur responsabilité. La victoire au printemps 2023 était à portée de main, si nous étions parvenus à imposer nos propres agendas, à la base, en réunissant les différentes forces soucieuses de changer les choses et sans attendre des dates perdantes lancées par quelques directions parisiennes. Ce n’est que partie remise…
Contre Attaque