Alors que la direction de notre entreprise a récemment
souhaité faire une étude sur l'absentéisme chez DSC les membres de la CGT ont
souhaité mettre en relation cet état de fait avec un comportement alternatif
très français bien plus fréquent : le présentéisme.
« Tu seras bien présent pour la
réunion d'agence entre 12h00 et 13h00 ? »
« C'est pas cette petite grippe qui va m'empêcher d'aller travailler »
« Tu peux finir ce devis avant de partir ? »
« Allez, on est charrette un ou
deux soirs et on y est »
« Pour la réunion a 8h00 à Lyon il faudrait décoller vers 5h00. On fais comme
ça ?»
« Chez DSC, 6% des RTT ne sont
pas pris »
Le présentéisme recouvre de multiples réalités et
questionne profondément le rapport très particulier que nous entretenons au
travail. Le présentéisme interroge sur la place du travail et cristallise
beaucoup de frustrations. Il raconte quelque chose sur les nouvelles
aspirations des individus : quête de sens, renoncement, besoin de reconnaissance, de renouveau... Nous sommes face à une profonde
mutation du rapport au travail. Les individus, et particulièrement les jeunes,
sont de plus en plus nombreux à remettre en question les modes de
fonctionnement traditionnels de l’entreprise. Le présentéisme en fait partie.
Le présentéisme, qu’est-ce que c’est ?
Cette
notion s’est définie en creux et par opposition à l’absentéisme pour
caractériser une situation où un salarié est physiquement présent sur son lieu
de travail alors que son état physique, mental ou sa motivation ne lui
permettent pas d’être pleinement productif.
Contrairement à ce que l’on croit, le présentéisme est
indéniablement plus fréquent que l’absentéisme. Lorsqu’on s’absente de son lieu
de travail, c’est visible. Mais le présentéisme est invisible, ce qui le rend
moins considéré.
Cette
maladie du travail insidieuse et difficile à décrypter revêt plusieurs visages.
On identifie plusieurs formes de présentéisme :
- Le présentéisme contemplatif (ou absentéisme
moral) qui consiste à être présent au travail mais à ne pas travailler
concrètement. Il peut être symptomatique d’une souffrance ou d’une
démotivation.
- Le présentéisme stratégique qui consiste à
faire des journées à rallonge à dessein de montrer qu’on est là, d’être vu.
- Le surprésentéisme qui consiste à continuer à travailler, voire à faire des
heures supplémentaires alors qu’on est fatigué ou malade. Il s’apparente à un
surengagement chronique motivé par
diverses raisons : perfectionnisme, culture d’entreprise, charge de travail
excessive…Le surprésentéisme désigne
aussi parfois le fait de faire des heures
supplémentaires sans être payé. Il
concernerait plus de 50% des salariés.
Des facteurs pluriels au présentéisme.
Les
causes d’un présentéisme élevé se laissent difficilement synthétiser. Elles
peuvent découler de multiples facteurs, être impulsées par les salariés
eux-mêmes, le management ou être une conséquence de l’organisation du travail.
Voici un recensement des causes les plus fréquentes :
Des
causes relatives au travail.
Une grande insatisfaction du travailleur
vis-à-vis de sa qualité de vie et
ses conditions de travail soit une organisation du travail pathogène : il
peut s’agir d’une impossibilité pour le salarié à prendre des décisions sur
l’organisation de son travail, un manque de support du supérieur hiérarchique,
un salaire insuffisant, une insécurité de l’emploi, l’absence de congés
maladies payés… Il s’agit ici d’une forme de démotivation profonde
souvent appelée démission intérieure. Les premiers symptômes sont le
désengagement et le mécontentement chronique.
Une grande fatigue causée par une surcharge de travail récurrente ou des missions irréalisables dans le temps
imparti. Le présentéisme s’impose pour éviter l’accumulation du travail pour
soi ou ses collègues, pour honorer des échéances, par professionnalisme ou
perfectionnisme. Un professionnel
avec un sens du travail élevé sera plus enclin à venir au travail malgré son
manque de productivité.
Une culture d’entreprise valorisant
l’excès de présence, le zèle ou un climat de compétition ou une culture
orientée vers l’engagement organisationnel et la performance. Ainsi, venir au
travail en étant malade est considéré comme un acte héroïque, on est superman !
Des causes relatives à l’individu,
quelques points clés :
• Un contrat psychologique avec l’employeur. S’absenter du
travail est vécu comme un comportement déviant.
• Une éthique du travail visant le bien commun : se rendre
au travail devient alors un devoir
• Des caractéristiques individuelles comme une incapacité à
dire non ou à faire confiance dans la délégation du travail
•
Un surengagement
dans le travail pour fuir des problèmes personnels. C’est un mécanisme de
défense contre le stress centrée sur l’évitement.
• Des difficultés financières rendant l’arrêt de travail
impossible
• Une fatigue intense liée à des difficultés personnelles
et/ou professionnelles
• Un surinvestissement au travail débouchant sur un état
d’épuisement émotionnel. On parle de burn-in pour évoquer le stade précédent le
burn-out.
• Des relations complexes avec ses collègues et/ou son
manager
• Un besoin de reconnaissance
• Des problèmes de santé incapacitants
• La crainte de se faire devancer pour protéger sa place,
ses dossiers, ses chances d’avancement
•
Les
profondeurs du présentéisme.
Le présentéisme
pourrait presque passer pour une opportunité pour l’entreprise (des heures
supplementaires réalisées sans être payées) et pourtant, il représente un coût
important pour l’entreprise comme pour le salarié. S’il
s’apparente à un surinvestissement dans le travail, il ne rime pas pour autant
avec productivité. Il recouvre des coûts cachés similaires à ceux de
l’absentéisme et va souvent de pair avec une perte de productivité des
collaborateurs, une baisse de la quantité ou de la qualité du travail produit,
une ambiance de travail délétère, une dégradation du climat social, des coûts
d’image importants (insatisfaction du client, dégradation de la marque
employeur). Par exemple en Europe du Nord rester aussi longtemps (de 7 à 20 h) est synonyme
d'inefficacité. Ça veut dire qu'on ne sait pas s'organiser.
Il peut
aussi s’avérer néfaste pour la santé du collaborateur en favorisant
l’apparition de certaines pathologies voire, dans le pire des cas, fatal. Les
japonais emploient le terme de « karoshi » ou mort par surtravail pour désigner
la mort subite de cadres ou d’employés de bureau par arrêt cardiaque faisant
suite à une charge de travail ou un stress trop important. Le présentéisme favoriserait l’apparition de
pathologies qui affectent sensiblement les salariés : aggravation des maladies,
retard dans les processus de soins, voire décompensation brutale et burn-out.
Un mal très français.
Cet excès de zèle et de
présence est très
répandu en France. Le langage ne ment pas ; on valorise les « bosseurs », les «
bûcheurs ». Ne dit-on pas d’un employé efficace et productif que « c’est une
machine » ? Triste louange. Cette appréciation du travail quantitative (au
temps passé) plutôt que qualitative est certainement corrélée au statut et à
l’imaginaire du « cadre ». Le cadre, c’est celui qui ne pointe pas et ne compte
pas ses heures car il touche un bon salaire (quelle que soit la réalité). Le
présentéisme serait donc bien souvent l’apanage de ceux qui « réussissent » et le prix du titre.
Si le présentéisme est encore
plus prégnant au Japon où le cadre sort même le soir avec ses collègues, la
France est particulièrement impactée par le phénomène. Une étude européenne
menée en 2017 révèle que les entreprises françaises et espagnoles seraient les
plus touchées par le présentéisme. Dans l’hexagone, de nombreux managers
mesurent la qualité du travail de leurs collaborateurs et leur implication à
l’heure à laquelle ils quittent le bureau. Alors qu’au Danemark, en Suisse ou
aux États-Unis, celui qui reste au bureau après 18h est mal vu. On le soupçonne
de manquer d’organisation, d’équilibre, de papillonner sur Facebook voire même
de négliger son couple, ses enfants.
Au Québec, une culture
d’entreprise alternative est à l’œuvre. Ainsi, les horaires sont 9h-16h30.
Rester après ces horaires est considéré comme un manque d’organisation.
Outre-Atlantique, cette façon de travailler donne plus de temps pour les
activités extra-professionnelles, le sport notamment. Cela est donc un vecteur
de santé !
La France est le pays d’Europe
au taux de présentéisme le plus élevé.
En
France, des médecins alertent sur les risques liés au présentéisme des salariés
: « Des gens malades, malades du travail, viennent travailler. Ce phénomène
nouveau s'accentue considérablement depuis dix ou quinze ans, avec la mise en
place du flux tendu dans les entreprises. Un quart des arrêts de travail de 2 à
4 mois sont dus à des facteurs psycho-sociaux. Pour une absence, il existe en
moyenne quatre cas de présentéisme. Les gens sont là physiquement, mais leur
tête est ailleurs. »
Pour autant, on peut également subir le présentéisme sans
avoir de manager. Les cadres par exemple n’ont a priori pas de contraintes
d’horaires. Pourtant, les conséquences sont à peu près similaires : la pression
vient de la demande. La peur de perdre un client, la nécessité d’en acquérir un
nouveau, le besoin systématique de faire ses preuves, les frontières poreuses
entre vie professionnelle et vie personnelle peuvent appeler au présentéisme.
Dans ces conditions de travail, des pathologies de surcharge peuvent apparaître
; maux de tête, anxiété, problèmes articulaires, irritabilité, perte de mémoire
et d’équilibre, fatigue intense, froideur émotionnelle et déshumanisation.
Comment prévenir ou minimiser le
présentéisme ?
Le présentéisme est un phénomène complexe, protéiforme et
bien souvent silencieux. S’il n’y a pas de recette miracle pour l’identifier et
l’endiguer, quelques bonnes pratiques ont déjà été déployées pour minimiser la
contagion et en finir avec la culture de la surenchère.
Notre
société glorifie la quantité - l’hyper-sollicitation, l’hyper-activité,
l’hyper-réactivité, l’hyper-compétitivité - et ce souvent au détriment de la
qualité. Ne faudrait-il pas en finir avec notre culture de « l’hyper » et du «
trop » ? N’est-il pas préférable
d’imaginer comment faire mieux avec moins plutôt que de demander toujours plus
? Pour booster l’efficacité de ses collaborateurs et leur engagement, une
entreprise doit avant tout savoir œuvrer pour leur
équilibre et se faire garant de leur bien-être physique et psychique.
Encourager un rapport serein et pondéré au travail a des effets positifs sur la
qualité du travail et par là-même sur la productivité. On pense ici aux
philosophies managériales alternatives qui plaident pour des environnements de
travail coopératifs encourageant l’épanouissement humain.
Choisir de manager par la
confiance.
On l’a
évoqué, le présentéisme est souvent une conséquence de la pression sociale.
Sensibiliser au phénomène et oser, en tant que manager, dirigeant, salarié,
afficher une attitude décomplexée et apaisée par rapport au temps de travail
sera incontestablement bénéfique. L’exemplarité, dans ce phénomène pandémique,
est cruciale ; le présentéisme, par effet boule de neige, entraînera davantage
de présentéisme mais un comportement modéré permettra d’établir un climat de confiance et de déculpabiliser les absents (pour raison de santé,
télétravail…).
Repenser l’organisation du
travail.
Pour limiter la propagation du
présentéisme et lutter contre la surcharge, beaucoup d’entreprises se sont
intéressées aux conditions de travail de leurs employés et ont déployé des mesures pour leur permettre une meilleure maîtrise de leur temps de travail.
Ces pratiques peuvent être mises en place spontanément ou discutées dans le
cadre d’accords collectifs. Il semble indispensable d’inclure les salariés et
les instances représentatives du personnel dans un débat transparent et ouvert
sur le mieux-être au travail.
Quelques exemples de bonnes
pratiques :
•
Mettre en place des
horaires d’ouverture et de fermeture des locaux (à 18h30 par exemple)
•
Instaurer le droit à
la déconnexion et une charte de bonne conduite
•
Interdire l’envoi
d’emails ou les convocations les soirs après 18h, le vendredi après-midi et le
week-end
•
Définir des plages
horaires spécifiques pour les réunions
•
Revoir les critères
d’attribution des primes à la performance
•
Former les
collaborateurs à identifier les signes révélateurs d’une charge de travail
importante : les heures supplémentaires récurrentes, l’explosion des comptes
épargne-temps, le report de congés, les mails et textos tard le soir ou le week-end,
l’isolement…
•
Instaurer une politique claire de remplacement
ou des plans de répartition des activités pour gérer les absences, réduire le
sentiment de culpabilité et ne pas surcharger les présents
Une révolution culturelle et
managériale nécessaire.
Le
présentéisme, jusqu’ici peu considéré, nuit gravement à la santé des
entreprises et des collaborateurs. Sous couvert d’implication, d’engagement,
d’investissement et autres valeurs travail zélées, nous avons laissé ce mal
infiltrer insidieusement les lieux de travail ; grands groupes, start-up,
professions libérales, indépendants… Personne ne semble épargné par ce
surinvestissement du travail. Pour autant, l’escalade des horaires perdure et
rares sont les entreprises qui ont osé faire leur révolution culturelle et
repenser l’organisation du travail.
Et si on
osait démystifier un poil la valeur travail et descendre de leur piédestal les golden boys, business women et autres
travailleurs acharnés ?
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